L’adolescence, cette phase complexe de transition vers l’âge adulte, est marquée par d’importants changements physiques, émotionnels et sociaux. Aujourd’hui, la santé mentale des jeunes devient une question préoccupante, exacerbée par la pandémie de COVID-19, les défis de la vie moderne et des problématiques comme le harcèlement et l’impact des réseaux sociaux.
En 2024, les troubles psychiques, tels que l’anxiété et la dépression, touchent un nombre croissant de jeunes, soulignant l’urgence de mieux comprendre et d’accompagner cette génération en souffrance.
Adolescence : une période de bouleversements
L’adolescence est une période de transformation profonde. Les jeunes sont confrontés à des changements hormonaux rapides, à la pression scolaire, à la recherche de leur identité, et aux attentes sociales toujours plus importantes. Cette phase est également marquée par une sensibilité accrue aux relations interpersonnelles et une exploration de nouvelles émotions. Ces transformations, bien qu’essentielles, peuvent rendre certains adolescents plus vulnérables sur le plan psychologique.
Pour certains, l’incapacité à réguler ces émotions et à développer des compétences psycho-sociales (CPS) – des compétences essentielles pour gérer le stress, les relations et la prise de décision – peut entraîner des troubles mentaux. Les adolescents qui peinent à gérer leurs émotions peuvent devenir plus sensibles à la dépression et à l’anxiété, des troubles qui nécessitent une attention particulière.
Selon Marie-Rose Moro – Psychiatre, psychanalyste et Directrice de la Maison de Solenn à Paris (établissement spécialisé dans la prise en charge des adolescents en souffrance) – L’adolescence est par nature une période de turbulence émotionnelle, mais nous voyons une hausse inquiétante de cas de dépression et d’automutilation. Les adolescents sont soumis à une pression immense, à la fois académique et sociale.
Le rôle des réseaux sociaux : une image déformée de la réalité
Les réseaux sociaux jouent désormais un rôle central dans la vie des adolescents, mais ils peuvent aussi accentuer leur mal-être. Ces plateformes sont souvent le théâtre de comparaisons constantes et d’une mise en scène de vies parfaites, créant un miroir faussé pour les jeunes.
Selon une étude de l’American Psychological Association (APA), l’utilisation excessive des réseaux sociaux peut exacerber des sentiments d’insécurité et de solitude chez les jeunes, qui sont confrontés à une pression invisible de devoir « performer » leur bonheur en ligne.
Serge Tisseron, Psychiatre, spécialiste des impacts des écrans et des nouvelles technologies, alerte régulièrement sur les dangers des écrans et sur la nécessité d’apprendre aux jeunes à maîtriser leur usage. Pour lui, “Les réseaux sociaux créent une illusion de proximité et d’intimité, mais ils renforcent souvent le sentiment de solitude. Ils deviennent un miroir irréel, où l’on se compare sans cesse, et où l’on projette une vie qui n’existe pas.”
Les images de corps parfaits, les moments de bonheur partagés en ligne, et les réussites visibles sur les réseaux sociaux peuvent renforcer une image déformée de la réalité. Les jeunes finissent par croire qu’ils doivent correspondre à ces normes artificielles pour être acceptés. Cette pression est l’un des moteurs de l’anxiété sociale et de la dépression, car elle pousse les adolescents à une quête d’approbation virtuelle souvent inatteignable.
Les réseaux sociaux ne se contentent pas d’être un terrain de comparaison, ils peuvent également être le théâtre de cyberharcèlement, qui accentue encore davantage le mal-être des jeunes. Le harcèlement en ligne, les insultes et les menaces dans l’anonymat des écrans ont des conséquences tout aussi graves que le harcèlement en personne.
Selon l’UNICEF, 36 % des jeunes ont déjà été victimes de cyberharcèlement.
Le harcèlement : une cause majeure de souffrance psychologique
Le harcèlement, qu’il soit physique, verbal ou en ligne, est l’une des principales causes de troubles mentaux chez les jeunes. Plus d’un jeune sur trois a déjà été victime de harcèlement à l’école ou sur les réseaux sociaux, ce qui peut entraîner une baisse d’estime de soi, de l’anxiété, voire une dépression sévère. Le cyberharcèlement, amplifie cette souffrance en poursuivant la victime en dehors des murs de l’école, dans un espace numérique où la persécution peut être continue.
Les jeunes harcelés développent souvent un sentiment d’isolement, d’impuissance et une grande méfiance envers leur environnement, ce qui les pousse à se replier sur eux-mêmes. Le lien entre harcèlement et suicide est également bien établi : des études montrent que les victimes de harcèlement ont un risque accru de penser au suicide, surtout si elles ne bénéficient pas d’un soutien rapide et adéquat.
La dépression chez les jeunes : un enjeu de santé publique
Les causes de la dépression chez les jeunes sont multiples et souvent intriquées.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Un jeune âgé de 10 à 19 ans sur sept souffre d’un trouble mental, soit environ 13 % des jeunes dans cette tranche d’âge. » – Rapport sur la santé mentale des enfants et adolescents, OMS (2021)
Les sources de cette détresse sont variées : la pression académique, les conflits familiaux, le harcèlement scolaire, l’exposition constante aux réseaux sociaux et une image de soi déformée par des comparaisons incessantes. Ces facteurs, combinés à des événements personnels difficiles comme la perte d’un proche ou une séparation amoureuse, peuvent plonger un adolescent dans une spirale de désespoir.
Un autre facteur aggravant est le jugement. Les jeunes qui éprouvent des difficultés mentales sont souvent confrontés à un environnement social qui stigmatise la souffrance psychologique. Ce jugement, qu’il soit explicite ou implicite, pousse les jeunes à taire leur souffrance, craignant d’être perçus comme faibles ou différents. Ce silence les éloigne des ressources d’aide disponibles et peut aggraver leur mal-être.
Les impacts prolongés de la pandémie de COVID-19
La crise sanitaire du COVID-19 a laissé une empreinte indélébile sur la santé mentale des jeunes. Les confinements successifs ont privé les adolescents de leurs repères sociaux, les éloignant de leurs amis et de leurs activités, exacerbant ainsi les sentiments d’isolement et d’anxiété.
Les recherches ont montré que cette période a engendré une augmentation des troubles psychiques chez les jeunes.
Selon une enquête de Santé Publique France, les consultations pour souffrance psychologique chez les adolescents ont bondi de 40 % en 2021, une tendance qui persiste en 2024.
Les jeunes ont dû affronter un climat d’incertitude généralisée, perturbant leur scolarité et leurs relations sociales, ce qui a contribué à un sentiment de perte de contrôle et à des difficultés à se projeter dans l’avenir.
Décrochage social et individuel : quand le lien se rompt
L’un des phénomènes les plus alarmants dans le cadre des troubles de santé mentale chez les jeunes est le décrochage social. Ce décrochage se traduit par une déconnexion progressive entre l’individu et la société. Les jeunes en difficulté mentale peuvent avoir l’impression de ne pas trouver leur place dans le monde, d’être incompris par leurs pairs et leur famille. Ce sentiment de décalage peut entraîner un retrait social, voire une déscolarisation, aggravant ainsi leur isolement.
Cette rupture avec la société se manifeste également par une perte d’intérêt pour les activités quotidiennes, l’abandon des loisirs et une baisse des performances scolaires. Les jeunes décrochent aussi mentalement, se détachant de leurs projets d’avenir, ce qui peut les conduire vers des pensées suicidaires.
Comment accompagner un jeune en souffrance mentale ?
Le rôle de l’entourage est primordial pour aider un adolescent en détresse. Pour les parents, il est essentiel d’être à l’écoute, de ne pas minimiser les émotions de leur enfant et d’instaurer un climat de dialogue. Le jugement et la critique doivent être évités à tout prix. Il est crucial de rappeler à un jeune qu’il n’est pas seul et que des solutions existent pour l’aider à traverser cette période difficile.
Les amis jouent également un rôle central. Encourager un camarade à s’exprimer, l’accompagner lors de consultations médicales ou l’orienter vers des ressources spécialisées peuvent être des gestes de soutien salvateurs. Il est aussi important de reconnaître ses propres limites et d’encourager la consultation d’un professionnel si la situation le nécessite.
« Plus que jamais, les adolescents ont besoin d’être entendus, compris et accompagnés pour surmonter une angoisse qui, souvent, est incomprise des adultes. » Philippe Jeammet
L’importance de la prévention : des ressources pour tous
Plusieurs associations et services de prévention proposent des outils et de l’aide pour les jeunes et leurs familles :
- Psycom : Cet organisme propose des ressources pour comprendre et parler de la santé mentale, ainsi que des guides pour les proches.
- L’Unafam : Association d’accompagnement des familles et des proches de personnes souffrant de troubles psychiques.
- Santé Mentale France : Organisation qui milite pour une meilleure prise en charge des troubles mentaux en France.
En plus de ces associations, plusieurs dispositifs d’urgence existent :
- Fil Santé Jeunes : 0 800 235 236 (appel anonyme et gratuit)
- SOS Suicide : 01 45 39 40 00
- Suicide Écoute : 01 45 39 40 00
Ces services offrent une écoute attentive, des conseils pratiques et un accompagnement vers des soins adaptés.
Les premiers secours en santé mentale (PSSM)
Un outil précieux pour l’entourage est la formation aux premiers secours en santé mentale (PSSM). Ce dispositif, de plus en plus populaire, permet aux individus non-professionnels d’acquérir des compétences pour reconnaître les signes de troubles mentaux chez un proche, apporter un soutien immédiat, et orienter vers des soins spécialisés.
Le psychiatre Christophe André, expert en psychologie positive et méditation, souligne l’importance de la régulation émotionnelle pour prévenir la souffrance psychique chez les adolescents. Il affirme : « La régulation émotionnelle est une compétence clé que nous devrions tous apprendre, surtout à l’adolescence, pour prévenir l’escalade de la souffrance psychique. » Ses recherches montrent que mieux gérer ses émotions aide les jeunes à mieux affronter le stress et l’anxiété.
Le suicide : un drame évitable
Malgré tous les moyens mis en place, le suicide chez les jeunes reste une réalité tragique.
En France, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, selon l’Observatoire National du Suicide. Les pensées suicidaires ne doivent jamais être ignorées. Un jeune qui exprime de telles idées doit être pris au sérieux et accompagné dans les plus brefs délais vers une prise en charge psychologique.
Des recherches ont montré que la prévention et le soutien peuvent réduire significativement le risque de suicide. Il est donc impératif de briser les tabous et d’encourager les jeunes à parler de leurs sentiments. Le simple fait de savoir qu’ils peuvent compter sur un adulte ou un ami de confiance peut suffire à prévenir une issue fatale.
Pour approfondir
- IPSOS / Fondation Jean Jaurès : Les adolescents face au monde, du mal-être à la détresse – Novembre 2021
- Boris CYRULNIK. Les vilains petits canards. Paris : Odile Jacob, 2001. Ouvrage sur la résilience et les mécanismes psychologiques permettant de surmonter les traumatismes, en particulier chez les jeunes.
- Jean-Luc AUBERT. Adolescence et réseaux sociaux : Comprendre les enjeux. Paris : Armand Colin, 2019. Analyse des effets des réseaux sociaux sur la santé mentale des adolescents et leurs relations sociales.
- Marie-Rose MORO. Nos enfants demain : Pour une société multiculturelle. Paris : Bayard, 2020. Étude sur les problématiques psychologiques des adolescents, notamment les effets de la pression sociale et scolaire.
- Philippe JEAMMET. Adolescence : Quand tout se joue. Paris : Odile Jacob, 2004. Exploration de la vulnérabilité des adolescents et des troubles mentaux émergents à cette période de la vie.
- Serge HEFEZ. Dans le cœur des hommes. Paris : Hachette, 2015. Réflexion sur les métamorphoses de l’adolescence et les défis émotionnels liés à cette période de transition.
- Christophe ANDRÉ. Imparfaits, libres et heureux : Pratiques de l’estime de soi. Paris : Odile Jacob, 2006. Travail sur la régulation émotionnelle et la gestion du stress, mettant en avant la méditation comme outil de résilience.
- Organisation mondiale de la santé (OMS). Santé mentale des enfants et adolescents : Faits et chiffres. Genève : OMS, 2021. Rapport détaillant les statistiques sur les troubles mentaux chez les jeunes à l’échelle mondiale.
- Rapport sur le cyberharcèlement chez les jeunes. New York : UNICEF, 2020. Étude des conséquences du cyberharcèlement sur la santé mentale des jeunes.
- Guide de la santé mentale et des troubles psychiques. Paris : Psycom, 2022. Ressource sur la prévention et le soutien en matière de santé mentale en France, avec un focus sur les jeunes.
- Santé publique France. Enquête CoviPrev : Impact du confinement sur la santé mentale des jeunes. Paris : Santé publique France, 2020.